mercredi 12 octobre 2011

Tirez...

Retour à Rennes, enfin, après une semaine Laidséjour à Nantes, enlevé au monde réel, reclus du matin au soir dans une cour d’Assises pour témoigner et entendre larmes, mensonges, bêtises épaisses, horreurs, diffamations, mauvaise foi, débordements d’émotion, insultes… non, les mots sont trop faibles. Continuer à croire malgré tout, à l’humain, à l’humanité, à l’humanisme. Reconnue par le jugement, vendredi soir, victime à tous égards, sans le moindre doute ni la moindre réserve, notre Belle-Amie va, nous le voulons et espérons tous, pouvoir se « reconstruire » comme disent les psyqqch. Car tout procès use d’insupportables stratégies pour tendre à faire passer la victime pour coupable. Épreuve ? Le mot, encore, est trop faible, si faible, pauvres mots que nous avons, qui ne peuvent suffire à dire le vrai, jamais… Lorsque, repensant aux monstruosités que peuvent commettre nos frères humains, je tomberai dans quelque instant de désespoir, j’appellerai Isidore qui, dans le jardin de Beauséjour, pourra me consoler – avec panache, bien sûr !

Sur la poignée de la porte du palais de justice, cette inscription :


J’avais précédemment remarqué, sur la poignée d’une maternité : « Poussez ».
Ne tomber dans les pièges ni de la vengeance, ni de l’enfantement dans la douleur…

Sur le balcon de la Villa Beauséjour, fenêtre ouverte et radio à fond, j’entends, tandis que je regarde le canal d’Ille et Rance et Vilaine, la chanson de Jacques Brel Bruxelles :
« Ils étaient gais comme le canal
Et on voudrait que j'aie le moral »…
Le pré qui sépare la maison de la poésie du cimetière a été… fauché. Il sera plus facile de s’y rendre à pied, d’autant que Lionel a débarrassé le mur de tout le lierre qui le cachait, découvrant de superbes pierres rouges.

Quelle nouvelle : un poète prix Nobel de littérature ! Ça arrive quoi ? Tous les quinze ans, peut-être, pas plus. On se souvient de la Polonaise Wisława Szymborska (dont l’œuvre est de celles qui me touche le plus, que je considère comme magistrale, exceptionnelle, superbe, etc.), qui reçut ce prix en 1996. Les deux recueils d’elle dont je dispose dans ma bibliothèque comptent parmi ceux auxquels je tiens le plus et dont je ne me déferai jamais ; malheureusement, je crois que De la mort sans exagérer et Je ne sais quelles gens sont épuisés ; reste à visiter les bouquinistes, Livre Rare Book http://www.livre-rare-book.com/ et autres sites Internet de livres d’occasion.
Quinze ans plus tard, donc, c’est le Suédois Tomas Tranströmer qui est « récompensé ». En 1996, les Éditions du Castor astral avaient publié ses Œuvres complètes (1954-1996) traduites par Jacques Outin. Tenant au fil des jours une anthologie personnelle qui me fait recopier sur-dans mon ordinateur les poèmes « que j’aime », j’avais retenu ces trois-ci ; en partage, donc :

Ut majeur

Lorsqu’il se retrouva dans la rue après son rendez-vous galant
la neige tourbillonnait au vent.
L’hiver était venu
alors qu’ils s’étreignaient.
La nuit blanche luisait.
Il marchait à grands pas joyeux.
La ville entière paraissait en pente.
Des sourires croisés –
chacun souriait derrière son col dressé.
C’était la liberté !
Et les poings d’interrogation chantaient la présence divine.
Pensait-il.
Une musique se détacha
pour avancer à grands pas
dans la neige en tempête.
Tout convergeait vers la note do.
Une boussole incertaine dirigée vers le do.
Une heure passée au-delà des souffrances.
Tout semblait si facile !
Et chacun souriait derrière son col dressé.


Les ratures du feu

Durant ces mois obscurs, ma vie n’a scintillé que lorsque je faisais l’amour avec toi.
Comme la luciole qui s’allume et s’éteint, s’allume et s’éteint – nous pouvons par instants suivre son chemin
dans la nuit parmi les oliviers.

Durant ces mois obscurs, ma vie est restée affalée et inerte
alors que mon corps s’en allait droit vers toi.
La nuit, le ciel hurlait.
En cachette, nous tirions le lait du cosmos, pour survivre.


Sombres cartes postales

I

L’agenda est rempli, l’avenir incertain.
Le câble fredonne un refrain apatride.
Chutes de neige dans l’océan de plomb. Des ombres se battent sur le quai.


II

Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne
prendre nos mesures. Cette visite
s’oublie et la vie continue. Mais le costume se coud à notre insu.

Mardi soir 11 octobre, lors d’une lecture amicale et complice avec Jacques Serena (sans accents s’il vous plaît) à La Quincaillerie générale de Rennes, je me suis permis de dire ces trois textes. Le Castor astral ayant été mon premier éditeur, je me sais désormais nobélisable ! Mais Jacques Serena, publié par les Éditions de Minuit, l’est depuis bien plus longtemps que moi… Nous patientons sagement, sereinement et avec confiance.
Bien sûr, médiatisation et commerce obligent (dont nous ne nous plaindrons pas ici), on annonce de toutes prochaines éditions traduites de Tomas Tranströmer. Chacun peut courir chez son libraire pour en savoir plus.

Jacques Serena, « crème » d’homme, nième confirmation. Jeudi 13 octobre, à Guérande cette fois, nouvelle lecture de compagnonnage avec une autre « crème », Pierre Notte, tendre Pierre. Je suis gâté. Consolations. À quoi je ne manquerai pas d’ajouter les nombreux et salutaires courriers, courriels et coudetéléphones avec PSW, ma magnifique.