mardi 25 octobre 2011

Fuite et suite(s)

Un errant
Vendredi soir, embouteillage sur la rocade rennaise. Le panneau lumineux d’un camion des Ponts et Chaussées prévient: «attention animal errant». Isidore, c’est toi? Dis, quand reviendras-tu – nous rassurer – en Beauséjour?

Photo © Gwénola Morizur, sur une idée autoritaire de Jacques Josse.

Une distraction
Écrire ce blog distrait, autrement dit offre la tentation d’une forme de fuite; distrait, donc, d’un chantier moins facile, celui que le résident s’était assigné avant son arrivée et qui, joyeusement, se proposait (se propose encore) d’interroger le phénomène de la mélancolie, du tædium vitæ, etc. (les synonymes et analogies ne manquent pas). Comme l’a joliment dit jeudi soir Hélène Lanscotte: «On veut, et puis après…» S’obliger, plutôt que s’obloger, non?

Une lecture inoubliable
Jeudi, Hélène Lanscotte en Beauséjour. Belle, très belle présentation, toute de justesse, de finesse, d’attention et de simplicité par Remy Jacquemin. Suit la lecture, par l’auteure, de ses textes, d’une qualité haute voix réellement exceptionnelle, gagnée par son expérience de comédienne-souffleuse, avec commentaires impeccables de justesse et d’à-propos. Attention parfaite du public qui ne manque pas un mot, ces mots, ces phrases si tendus, tenus, maîtrisés. Rien d’approximatif, tout est si-tellement écrit. Et puis, à suivre, cette intelligence d’échanges, ces convictions, cette générosité (que portent, singulièrement, ses rossignols souffleurs). De quelques phrases citées par Hélène Lanscotte, celles-ci: «Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.» (Emil Cioran, dans Syllogismes de l’amertume); «La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles.» (Gustave Flaubert, mais je ne sais plus dans quel ouvrage, pardon!) Petite frustration toutefois: ses auditeurs en auraient volontiers redemandé, oui, la plupart a trouvé cette lecture un peu brève, mais l’on peut deviner qu’Hélène Lanscotte, saisie par ce qu’elle appelle «la conscience vacillante des timides» l’a, d’elle-même, quelque peu écourtée.

Une habitude et une crainte beauséjourniennes
Impossible, pour ma pomme, de mettre des épluchures (je me répète un tantinet) dans une poubelle. Avec la permission de Lionel Moal, écrivain-jardinier comme Joël Bastard, Jean-Pascal Dubost, Louis Dubost, Eugène Savitzkaya, Lucien Suel et consorts, je dépose désormais celles-là sur le tas d’herbe coupée du jardin. Mais je n’y vais qu’avec une certaine crainte: Hélène Lanscotte n’écrit-elle pas dans Simplement descendu d’un étage (et c’est bien le cas, pour le résident d’ici qui vient de sa kitchenette): «Bientôt, je la vis en songe enfouie dans le compost»?



Une jérémiade
Le résident, certains jours, ne sait plus où il habite. Il a divisé ses affaires entre son domicile habituel (sinon fixe) et la villa qui l’accueille. S’il est ici, il a évidemment besoin, à un moment donné, de ce qui est là(-bas), s’est est là(-bas), ce qu’il convoite n’y est point: notes, brouillons, dictionnaire, tee-shirt MerdRe (Ubu, médiathèque de Laval, merci encore Olivier), agrafeuse, œuvres de Pascal Quignard, rasoir, etc. Sinécure? Pas une! Vilain geignard...

Une (autre) citation
Inutile de tenter de dire tout le bien (déjà un misérable euphémisme) que je pense du livre (pas d’épithètes ici, ce ne pourrait être qu’à-peu près, trop, pas assez, mal dit… pauvres mots) de Ludovic Degroote Le Début des pieds. Juste, alors, une citation, qui dit tant, et si simplement, et si justement:
«58 % des français se plaignent de la poésie contemporaine, leurs attentes ne sont pas satisfaites, ils pensaient que ce serait autre chose, ils ont déjà tant de mal, c’est inutile d’en rajouter, ils croient qu’on le fait exprès».

Une question
Quel est le prénom de cette berline sportive italienne construite entre 1962 et 1977 à Arese, l’une des plus rapides et plus sûres de l’époque, au style considéré comme «très simple»?


Photo © UMP (Union de la  Muette Parturition)

vendredi 21 octobre 2011

Chère, cher, chères et chers (ou moins)

Un éclat de rire (jaune)
Dans cette Rennes (où est une rue Tristan-Corbière, cher au cher Président Jacques), le groupe scolaire (de la chère) Louise-Michel se trouve situé rue (du beaucoup moins cher Adolphe) Thiers !


Un crédit
Reçu (et accepté) trois jolis chèques de la BreizhMaiPo, comme quoi les poètes (purs esprits, tu parles !) peuvent, très prosaïquement gagner leur vie, un peu, parfois. De quoi rassurer ma chère banque, le Débit Agricole : j’y cours (… de la bourse un blog peut-il excuser les jeux de mots calamiteux ?) Au menu de ce soir, conséquemment : caviar Beluga (cher… à William Burroughs), homard armoricain, tournedos Rossini (dûment assortis de truffes et foie gras), morilles, etc.

Un appel à témoins – ou coupables
J’ai dans mes principes les plus chers (mais sans doute insuffisants) celui de rendre à Cléopâtre ou à César ce qui leur appartient. Aussi est-ce que j’élargis ici, on the blog, un appel déjà plusieurs fois lancé, mais moins mondialisément (ah, Internet, toile universelle sur laquelle chaque humain vivant me lit !) Dans la salle-à-manger-centre-de-ressources-salon-de-lectures de la chère Villa Beauséjour (je confirme), quelqu’une ou quelqu’un m’a traité. C’était le 4 mars 2009, à l’occasion du Festival Les Polyphonies où nous nous étions retrouvés pour une lecture croisée avec la chère Patricia Nolan. Traité, donc, de « Mister Lister » (ou « Listeur »), et cet hétéronyme m’est resté. Mais comment l’employer chrétiennement sans en citer l’auteur(e) ? Nous dînions, devisions, plaisantions, refaisions le monde, c’était bon – mais pourquoi s’en étonnerait-on ? Comme dans le cochon, dans la Maison (de la Poésie de Rennes), tout est bon !

Une première question
Connaissez-vous les Notules dominicales de culture domestique de Philippe Didion, émérite perecquien et fameux curieux ès mille choses, des coiffeurs jusqu’aux poilus ? Vous pouvez aller y voir et, si convaincus, vous y abonner pour adoucir le blues de vos dimanches, si généralement haïs : http://pdidion.free.fr/
Une deuxième et double question
Dites-moi, chers résidents et visiteurs, c’est quoi la poésie ? Et comment qu’ça s’reconnaît ?

Une troisième question
Petite conversation, dans le centre de ressources, en Beauséjour, avec une classe de seconde littéraire emmenée par Christian Poirier. Mesurent-elles, ces chères têtes blondes et moins blondes, la chance qui leur est offerte d’avoir pareil (si « qualiteux » pour dire comme Victor Haïm) prof ?

Un nouveau paquet cadeau tombé dans ma boîte aux livres
Dans les pas de l’autre, de Jacques-François Piquet, natif de Nantes exilé en Beauce. Mais, cher camarade, je pouvais me l’acheter, me l’offrir, l’acquérir... Quand même, oui, merci ! Et à bientôt, mardi 8 novembre à Saint-Herblain.

Deux tortionnaires, au moins
La pathologie du cher Pierre Notte semble contagieuse. Françoise, à chacune de ses visites en Beauséjour, pour citer Denis Heudré (lequel, comme moi, aime visiter les cimetières, je file d’ailleurs très bientôt au Nord, le long de la rue de… Plaisance – du repos éternel, chez les résidents Ciel – eh ben oui, un autre jeu de mots calamiteux souhaitant être excusé par ce cher blog…), apporte, la chère, fleurs, pâtes de coing et autres joyeusetés de bonne chère. Présents, cadeaux. Chers tortionnaires de nos sentiments de culpabilité : on apporte quoi, nous ? On rend comment (pour dire comme les parpaillots genevois) ?


Un plus un livre tout dernièrement achetés (chers, dans deux librairies indépendantes, on a une éthique ou pas !)
Débris d’endroits de Vannina Maestri (dont la lecture me fit belle et forte impression à MidiMinuitPoésie) et Embrasez-moi d’Éric Holder (dont je crois n’avoir raté aucun volume, pas même Bruits de cœur, encore un cher trésor de ma bibliothèque dont je ne me déferai jamais).

Une attente au jardin
Pas revu Isidore, comte de Lautréamont du Casse-Noisettes de Piotr Ilitch. Cher au cher Jules… Renard, notre si réjouissant (joli, gentil, docile, innocent épithétait Buffon) petit quadrupède (prononcer é-ku-reull, ll mouillées et non é-ku-reuye) répond encore aux noms, outre ceux précédemment cités, et selon Le Littré – Le Dictionnaire de référence de la langue française – édition 2007 en vingt volumes, de cynomys social, squirio lus, spirou, skiron, scojattolo, esperiolus, escurial, escureu, escurol, esquilo, écuran, écurieux, escurieu (rieur curieux)... Répond ? Non, car on a beau l’appeler de tous les noms, il ne vient pas…

Une réponse à Jean-Christophe Belleveaux
Oui, oui, oui, je revendique les mots gentil, gentillesse et gentiment, même si l’usage a pu en dévaluer le sens : résistance à toute inflation, siouplaît ! C’est du cher écrivain (poète ?) Michel Deutsch (je confirme ici quant à cette « qualité » dont il fait preuve) que le philosophe (poète ?) Philippe Lacoue-Labarthe parlait : « Je regrette, mais la gentillesse est une qualité. C’est l’intelligence même ! » (Long Distance Call, postface à El Sisisi de Michel Deutsch, Christian Bourgois Éditeur, 1986). Chère citation que je ne cesse de répéter depuis que je l’ai lue. Regrettons donc, avec feu lui, et réhabilitons. Mister Liste(u)r pourrait dresser une énumération de gentils humains, mais qui se révélerait bien vite trop longue. Celle des méchants serait-elle plus courte, oups ?

Deux chaussons
Le résident est, en Beauséjour, chez lui, et s’y sent comme tel. Petit luxe, confort plutôt : tant que je ne sors pas, et même si je descends dans la bibliothèque (pardon, mais je préfère cette appellation à celle de centre de ressources), je garde aux pieds ma paire Homer Simpson, héros favori de mes deux derniers enfants, Pauline, Léonie, Colombe et Constant, Victor, Hugo (né bicentenairement en 2002, « ce siècle avait deux ans ») – que je m’en vais retrouver dès demain, youpi ! Dis-moi Jean-Christophe, t’as quoi comme chaussons ? Ne les oublie pas !

mercredi 19 octobre 2011

retour fun

L’assigné à résidence s’était évadé, d’abord à Guérande pour un atelier-lecture avec Pierre Notte, puis à Nantes pour MidiMinuitPoésie #11, enfin pour une lecture à La Grigonnais. Ce mardi, il pleut sur Rennes… donne-moi la main ; petites averses successives qui ne rendent pas mon cœur chagrin : intermittence du spectacle. Lionel taille et tronçonne à Beauséjour. Comme lui, j’aime jardiner sous la pluie. Piètre marcheur, je continue de découvrir, petitement, Rennes à pieds, jusqu’à me laisser coincer dans des ruelles se terminant en impasses. Rue Victor… Ségalen, oui, il y a un accent sur la plaque, qui agace le (sans circonflexe) tatillon (suranné, ringard ?) que je suis ; quel béotien a dit que les noms propres n’ont pas d’orthographe ? Qu’on n’oublie pas, quand Jacques y aura son boulevard, de n’y point mettre d’accents : Serena.
Autrement dit : Rugissement de la tronçonneuse.

 

Je me répète, encore, mais pour rejoindre la villa, on suit quelques jolies pancartes (Terrain des gens du voyage, Déchetterie, Cimetière du Nord – et, par la rocade, Beauregard… vers Beauséjour, ne manque plus que Bellevue) et on passe, le plus souvent, devant la Maison funéraire. Dites et répétez à haute voix (et non à voix haute, s’il vous plaît…) : MAISON FUNÉRAIRE, MAISON FUNÉRAIRE, MAISON FUNÉRAIRE, n’y entendez-vous pas un son fun ?


Qu’on me pardonne, mais je ne peux le taire : Pierre Notte souffre d’une très inquiétante pathologie. Au Théâtre Athanor de Guérande où nous nous sommes retrouvés pour animer (surtout lui, ouf !) un atelier-lecture d’œuvres de théâtre (Marion Aubert, Leslie Kaplan, Émilie Valantin, Noëlle Renaude, Pauline Sales, Tilly, Stéphane Guérin, Emmanuel Darley, Jean-Michel Ribes, Philippe Minyana, Jacques Rebotier, Fernando Arrabal, Jean-Claude Grumberg) avec les jurés du Prix d’écriture théâtrale de la ville chère à Balzac (et tant d’autres), il avait, à Anne-Gaëlle Orgebin et à moi-même (depuis quelque six mois, j’écris avec un stylo-plume-Parker-cher-Pierre-Notte, retrouvant ainsi, cher Roger Lahu, l’usage de ma chère encre sépia), apporté des cadeaux. Voilà  donc : ce tendre Pierre, visiblement incurable, ne peut s’empêcher de répondre à quelque invitation ou rendez-vous que ce soit les bras chargés. Dans le paquet que j’ai ouvert étaient réunis, posés sur une jolie corbeille habillée d’un tissu écossais, un flacon et des sachets d’essence de vanille, de poudres de safran, de curry, de colombo, de cumin, de gingembre et de paprika.
De quoi, en retour obligé, inventer la recette du plat que Raoul Ruiz évoquait dans une interview tout récemment rediffusée par France Culture : lentilles et artichauts au safran et au miel (mais qui m’offrira demain lentilles, artichauts et miel ?).
Ou, afin de mitonner un curry (ou curri, ou cari, ou cary, mais pas carie) plutôt créole, sinon un colombo, déjà expérimentés :
Pour 8 personnes : 1,5 kilo environ de longe de porc (échine, carré de côtes ou filet) ou de joue de porc (soit 150 à 200 grammes par personne)*, 1 kilo d’oignons, 1 kilo de tomates (ou, en hiver, 2 boîtes de tomates concassées sans les égoutter).
Dans une sauteuse ou une cocotte, faire revenir à feu vif et à découvert le porc détaillé en gros dés avec 2 cuillers à soupe d’huile d’olive, jusqu’à ce qu’il prenne une belle couleur dorée. Baisser le feu et mettre les oignons coupés en lamelles en ajoutant une autre cuiller à soupe d’huile d’olive, et laisser revenir 8 à 11 minutes à couvert en remuant de temps en temps. Verser la chair des tomates pelées et épépinées, 2 pots de yaourt bulgare et 2 cuillerées à soupe de curry en poudre. Bien saler, sans poivrer, et bien mélanger le tout. Couvrir et laisser cuire à feu doux et en surveillant et en remuant de temps en temps pendant 1 h 1/2 à 2 heures ; 3 minutes avant de couper le feu, ajouter 3 pommes coupées en morceaux ou un demi ananas également coupé en morceaux et remuer.
Servir avec de la noix de coco râpée, 4 bananes coupées en rondelles et des raisins gonflés au rhum présentés dans 3 ramequins. Accompagner de riz et/ou des patates douces en robe des champs et/ou de grains de blés bouillis.
On réalisera un colombo en remplaçant le curry par 5 cuillers à soupe de cette épice en poudre, mélange, pour la plus belle réussite des ragoûts antillais, anis, coriandre, safran, etc.

* On peut avantageusement (d’un point de vue gastronomique) remplacer le porc par de l’épaule d’agneau désossée, ou moins avantageusement par du blanc de poulet ou de dinde (très belle réussite, toutefois, du sauté de dinde Leader Price à 5 ou 6 euros le kilo : les convives demandent quelle est cette viande si moelleuse – c’est essentiellement parce qu’elle a cuit près de 2 heures).

À Nantes vendredi soir (Bistrot de l’écrivain), samedi (Pannonica) et dimanche (Flesselles), MidiMinuitPoésie #11. Texte d’ouverture magistral par Magali Brazil : chapeau (bas) ! Invité pour une lecture croisée avec son camarade picard Ivar Ch’Vavar, et une lecture personnelle, Lucien Suel n’a pu venir, frappé par le décès brutal de son frère. Toutes et tous avons, bien sûr, beaucoup pensé à lui. Je me suis souvenu du délexquisavouricieux dîner poétique que nous avions fait ensemble au Triangle, à Rennes, le 25 septembre 2002, jour depuis lequel nous n’avons cessé d’échanger, par la lecture, l’écriture. Je me suis donc proposé pour lire les textes qu’il avait choisis, avec ma pauvre voix, mais ma meilleure, ou ma plus affectueuse, volonté.
Lors de ces grandes et longues journées de rencontres, on ne peut tout voir, tout entendre, ni partager avec tous. Inoubliables et ferments de belles sympathies débutantes, les échanges qu’il m’a été donné de vivre (oui, oui, vivre) avec Ivar Ch’Vavar, Dominique, Iskandar Habache et Matthieu Goszola, singulièrement… Au brunch (ouh ! quel vilain mot) du dimanche, Iskandar a traduit en arabe, et lu, un poème de Lucien. Waouh, sœurs et frères, une belle et bonne édition.
Alors, après, les au revoir, les va où, trains, voitures, les retours-maisons dans, comme chaque fois, ce sentiment de vide brutal, un rien mélancolique, façon p’tite dépression post festum.

Hier lundi, 17 octobre. À l’écart du bourg de La Grigonnais (berceau des magnifiques saltimbanques Marilyn Leray, Hervé Guilloteau et Sébastien Rouaud), lecture chez l’habitant. Pierrot et Marianne, leurs enfants Hélène et Sébastien, leurs proches, fidèles, complices, voisins… Conversations heureuses, tant d’amis en commun, d’amis, de goûts. Vins, fromages. Graines d’automne. Comment ne pas lire, ce jour-là, Ludovic Janvier :

DU NOUVEAU SOUS LES PONTS

Ah, ils les foutent à la Seine.
Anonyme

Il y a eu la journée du 17 octobre. Et celles d’avant. Et celles d’après. Et les cadavres dans la Seine, et les cadavres dans les bois. Aucune enquête sérieuse n’a été faite ni aucune sanction prise.
E.A.L.V.

Vous parlez d’Octobre 17
Moi je pense au 17 octobre


1

Paris 61 dix-sept octobre on est à l’heure grise
où le pays se met à table en disant c’est l’automne
lorsque silencieux venus des bidonvilles et cagnas
des Algériens français sur le soir envahissent
de leur foule entêtée les boulevards ils n’aiment pas
ce couvre-feu qui les traite en coupables
décidément ça fait trop d’Arabes qui bougent
le Pouvoir envoie ses flics sur tous les ponts
nous montrer qu’à Paris l’ordre règne
il pleut sur les marcheurs et sur les casques il va pleuvoir
bientôt sur les cris pleuvoir sur le sang

2

Sur Ahcène Boulanouar
battu puis jeté à l’eau
en chemise et sans connaissance
vers Notre-Dame il fait noir
le choc le réveille il nage
la France elle en est à la soupe

Et sur Bachir Aidouni
pris avec d’autres marcheurs
lancés dans l’eau froide aller simple
de leurs douars jusqu’à la Seine
Bachir seul retouche au quai
la France elle en est au fromage

Sur Khebach avec trois autres
qui tombent depuis le pont
d’Alfortville on l’aura cogné
moins fort puisqu’il en remonte
les frères où sont-ils passés
la France elle en est au dessert

Et sur les quatre ouvriers
menés d’Argenteuil au Pont
Neuf pour y être culbutés
dans l’eau noire en souvenir
de nous un seul va survivre
la France elle en est à roter

Et sur les trente à Nanterre
roués de coups précipités
depuis le pont dit du Château
quinze à peu près vont au fond
tir à vue sur ceux qui nagent
la France elle est bonne à dormir

3

Paris terre promise à tous les rêveurs des gourbis
leur Chanaan ce soir est dans l’eau sombre
ils ont gémi sous la pluie mains sur la nuque
c’est mains dans le dos qu’on en retrouve ils flottent
enchaînés par quelques jours à la poussée du fleuve
c’est la pêche miraculeuse ah pour mordre ça mord
on en repêche au pont d’Austerlitz
on en repêche aux quais d’Argenteuil
on en repêche au pont de Bezons la France dort
on repêche une femme au canal Saint-Denis
les rats crevés les poissons ventre en l’air les godasses
ne filent plus tout à fait seuls avec les vieux cartons
et les noyés habituels venus donner contre les piles
on peut dire qu’il y a du nouveau sous les ponts
la Seine s’est mise à charrier des Arabes
avec ces éclats de ciel noir dans l’eau frappée de pluie

Ludovic Janvier
La Mer à boire
Éditions Gallimard, 1987

Si bien reçu chez l’habitant, si chaleureusement qu’une bonne nuit de sommeil, dans un bon lit, y suit la lecture. Dès le petit déjeuner, flambée dans la cheminée. Il y a des gens qui savent. Alors, partir, repartir, dire au revoir, allô amis bobo…

vendredi 14 octobre 2011

Belle-famille!

13 octobre 2011, au matin – anniversaire des naissances des poètes Pierre Dhainaut et Yves Martin, lecture du jour : Le 13 octobre, poème de Paul de Roux recueilli dans La Halte obscure

Belle-famille !

Dans la boîte aux lettres, lors de mon passage à mon « domicile habituel », une grosse enveloppe expédiée depuis Poitiers, le cachet de la Poste faisant foi. Jean-Claude Martin, qui était présent à la belle fête surprise Jacques-Josse-Wamwig-Tipi-Approches, et que je ne suis pas seul à avoir eu le grand plaisir de revoir, retrouver, m’envoie un manuscrit et deux de ses livres : Château fable & autres histoires, et Tourner la page. Qu’ils sont « bêtes », ces poètes : ces deux ouvrages figuraient, avec la nouvelle édition (augmentée) de Ciels de miel et d’ortie, sur ma liste « à acquérir dès que possible ». Comment voudraient-ils donc devenir riches pour pouvoir répondre enfin positivement à la question qui leur est presque toujours posée dans les classes où ils « interviennent » : « Est-ce que vous gagnez beaucoup d’argent avec vos livres ? » À Rochefort-sur-Loire, voici quelques années, Jean-Claude avait lu quelques extraits de Tourner la page, alors inédits. Tous ses auditeurs, je crois, en avaient eu le souffle coupé. Inoubliable. Aucun livre, aucun texte de Jean-Claude Martin qui ne m’ait séduit, saisi, dans la pertinence, la concision et l’extrême précision d’écriture qui sont les siennes. Merci, mais, s’il te plaît, Jean-Claude, laisse-moi les acheter, tes livres ! D’ailleurs, si le Centre de ressources de la BreizhMaiPo ne les possède pas, je ne lui donnerai pas : je le forcerai à les acquérir sonnamment et trébuchamment.

Encore, de beaux courriels, courriers et messages « Facebouc » (comme dit Baptiste-Marrey, messages auxquels je ne sais répondre sur ce machin « social ») de Jean-Christophe Belleveaux, Yann Dissez, Henri Droguet, Valérie Rouzeau, Françoise Bauduin, Roger Lahu, Baptiste-Marrey, Magali Brazil, Erwann Rougé, Ronan Mancec, Marie-Christine Moreau, Conforama, d’autres. Pardons à ceux auxquels je n’ai pas répondu et à qui j’avance l’excuse de ne pas (savoir) trouver le temps, actuellement. Candide, peut-être, je me réjouis, et de plus en plus souvent, d’avoir gagné, avec la poésie, une belle famille (belle-famille ?)

C’est qui ? C’est qui, PSW ? Photo Michel Durigneux, bonjour Michel.

Hier soir, dîner chez des proches rue René-Marcille à Rennes ; ils sont gentiment venus me chercher en voiture, s’extasiant devant et dedans la Villa Beauséjour qu’ils ne connaissaient pas. Tellement émus et troublés (rires) de me recevoir, ils ont rangé leur voiture au garage et claqué la porte de celui-là en laissant à l’intérieur les clefs du même celui-là… dont ils n’ont aucun double. Pour rejoindre la Maison de la Poésie, vers minuit, il ne restait guère que la solution du taxi. Deux appels téléphoniques à deux compagnies. Une heure d’attente malgré leurs promesses : « Nous arrivons dans quelques minutes ». Un seul est venu, mais s’est d’abord trompé d’adresse, ne connaissant pas cette rue Marcille (sans accent s’il vous plaît) : nous avons dû le bigophonoguider. Il ignorait pareillement où se trouvait la rue Armand-Rébillon et j’eus droit à une longue promenade erratique Rennes by night. C’était beau…

Les auteurs dits dramatiques lisent très peu de poésie*. Les poètes ne lisent « pratiquement » pas de théâtre. Si proches, pourtant, ces écritures, et sans doute de plus en plus... Lié aux uns autant qu’aux autres, je n’en finis pas de me désoler de cette constatation (jusqu’à, par moments, me mettre au bord de la colère). Un effort, amis (et vous serez si hautement récompensés) ! Ce soir, atelier-lecture avec Pierre Notte à Guérande, auteur de romans et de pièces, et quel auteur, et quel tendre bonhomme ! Nous lirons Jean-Claude Grumberg, Tilly, Marion Aubert et bien d’autres. Vous aussi ? Jacques Serena (sans accents s’il vous plaît), de Pierre Notte, « adore » les textes… et l’homme (comment ne pas ?), tout particulièrement Moi aussi je suis Catherine Deneuve (broché, 17 août 2005 – anniversaire de la naissance de Edward James Hughes, dit Ted Hughes, lecture du jour : Rêve du 17 août 19.., poème de Jacques Roubaud recueilli dans La Forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains – 9 euros, Éditions de l’Avant-scène théâtre, « Collection des Quatre-Vents », en vente dans toutes les bonnes librairies, en lecture dans toutes les bonnes bibliothèques).

Pierre Notte, M. Copyright ?

* Une exception, l’ami écrivain belge Paul Emond qui mitonne l’un des sites littéraires les plus soignés et passionnants et passionnés qui soient : www.paulemond.com

Au boulot !

Dépôt

mercredi 12 octobre 2011

Tirez...

Retour à Rennes, enfin, après une semaine Laidséjour à Nantes, enlevé au monde réel, reclus du matin au soir dans une cour d’Assises pour témoigner et entendre larmes, mensonges, bêtises épaisses, horreurs, diffamations, mauvaise foi, débordements d’émotion, insultes… non, les mots sont trop faibles. Continuer à croire malgré tout, à l’humain, à l’humanité, à l’humanisme. Reconnue par le jugement, vendredi soir, victime à tous égards, sans le moindre doute ni la moindre réserve, notre Belle-Amie va, nous le voulons et espérons tous, pouvoir se « reconstruire » comme disent les psyqqch. Car tout procès use d’insupportables stratégies pour tendre à faire passer la victime pour coupable. Épreuve ? Le mot, encore, est trop faible, si faible, pauvres mots que nous avons, qui ne peuvent suffire à dire le vrai, jamais… Lorsque, repensant aux monstruosités que peuvent commettre nos frères humains, je tomberai dans quelque instant de désespoir, j’appellerai Isidore qui, dans le jardin de Beauséjour, pourra me consoler – avec panache, bien sûr !

Sur la poignée de la porte du palais de justice, cette inscription :


J’avais précédemment remarqué, sur la poignée d’une maternité : « Poussez ».
Ne tomber dans les pièges ni de la vengeance, ni de l’enfantement dans la douleur…

Sur le balcon de la Villa Beauséjour, fenêtre ouverte et radio à fond, j’entends, tandis que je regarde le canal d’Ille et Rance et Vilaine, la chanson de Jacques Brel Bruxelles :
« Ils étaient gais comme le canal
Et on voudrait que j'aie le moral »…
Le pré qui sépare la maison de la poésie du cimetière a été… fauché. Il sera plus facile de s’y rendre à pied, d’autant que Lionel a débarrassé le mur de tout le lierre qui le cachait, découvrant de superbes pierres rouges.

Quelle nouvelle : un poète prix Nobel de littérature ! Ça arrive quoi ? Tous les quinze ans, peut-être, pas plus. On se souvient de la Polonaise Wisława Szymborska (dont l’œuvre est de celles qui me touche le plus, que je considère comme magistrale, exceptionnelle, superbe, etc.), qui reçut ce prix en 1996. Les deux recueils d’elle dont je dispose dans ma bibliothèque comptent parmi ceux auxquels je tiens le plus et dont je ne me déferai jamais ; malheureusement, je crois que De la mort sans exagérer et Je ne sais quelles gens sont épuisés ; reste à visiter les bouquinistes, Livre Rare Book http://www.livre-rare-book.com/ et autres sites Internet de livres d’occasion.
Quinze ans plus tard, donc, c’est le Suédois Tomas Tranströmer qui est « récompensé ». En 1996, les Éditions du Castor astral avaient publié ses Œuvres complètes (1954-1996) traduites par Jacques Outin. Tenant au fil des jours une anthologie personnelle qui me fait recopier sur-dans mon ordinateur les poèmes « que j’aime », j’avais retenu ces trois-ci ; en partage, donc :

Ut majeur

Lorsqu’il se retrouva dans la rue après son rendez-vous galant
la neige tourbillonnait au vent.
L’hiver était venu
alors qu’ils s’étreignaient.
La nuit blanche luisait.
Il marchait à grands pas joyeux.
La ville entière paraissait en pente.
Des sourires croisés –
chacun souriait derrière son col dressé.
C’était la liberté !
Et les poings d’interrogation chantaient la présence divine.
Pensait-il.
Une musique se détacha
pour avancer à grands pas
dans la neige en tempête.
Tout convergeait vers la note do.
Une boussole incertaine dirigée vers le do.
Une heure passée au-delà des souffrances.
Tout semblait si facile !
Et chacun souriait derrière son col dressé.


Les ratures du feu

Durant ces mois obscurs, ma vie n’a scintillé que lorsque je faisais l’amour avec toi.
Comme la luciole qui s’allume et s’éteint, s’allume et s’éteint – nous pouvons par instants suivre son chemin
dans la nuit parmi les oliviers.

Durant ces mois obscurs, ma vie est restée affalée et inerte
alors que mon corps s’en allait droit vers toi.
La nuit, le ciel hurlait.
En cachette, nous tirions le lait du cosmos, pour survivre.


Sombres cartes postales

I

L’agenda est rempli, l’avenir incertain.
Le câble fredonne un refrain apatride.
Chutes de neige dans l’océan de plomb. Des ombres se battent sur le quai.


II

Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne
prendre nos mesures. Cette visite
s’oublie et la vie continue. Mais le costume se coud à notre insu.

Mardi soir 11 octobre, lors d’une lecture amicale et complice avec Jacques Serena (sans accents s’il vous plaît) à La Quincaillerie générale de Rennes, je me suis permis de dire ces trois textes. Le Castor astral ayant été mon premier éditeur, je me sais désormais nobélisable ! Mais Jacques Serena, publié par les Éditions de Minuit, l’est depuis bien plus longtemps que moi… Nous patientons sagement, sereinement et avec confiance.
Bien sûr, médiatisation et commerce obligent (dont nous ne nous plaindrons pas ici), on annonce de toutes prochaines éditions traduites de Tomas Tranströmer. Chacun peut courir chez son libraire pour en savoir plus.

Jacques Serena, « crème » d’homme, nième confirmation. Jeudi 13 octobre, à Guérande cette fois, nouvelle lecture de compagnonnage avec une autre « crème », Pierre Notte, tendre Pierre. Je suis gâté. Consolations. À quoi je ne manquerai pas d’ajouter les nombreux et salutaires courriers, courriels et coudetéléphones avec PSW, ma magnifique.