mercredi 19 octobre 2011

retour fun

L’assigné à résidence s’était évadé, d’abord à Guérande pour un atelier-lecture avec Pierre Notte, puis à Nantes pour MidiMinuitPoésie #11, enfin pour une lecture à La Grigonnais. Ce mardi, il pleut sur Rennes… donne-moi la main ; petites averses successives qui ne rendent pas mon cœur chagrin : intermittence du spectacle. Lionel taille et tronçonne à Beauséjour. Comme lui, j’aime jardiner sous la pluie. Piètre marcheur, je continue de découvrir, petitement, Rennes à pieds, jusqu’à me laisser coincer dans des ruelles se terminant en impasses. Rue Victor… Ségalen, oui, il y a un accent sur la plaque, qui agace le (sans circonflexe) tatillon (suranné, ringard ?) que je suis ; quel béotien a dit que les noms propres n’ont pas d’orthographe ? Qu’on n’oublie pas, quand Jacques y aura son boulevard, de n’y point mettre d’accents : Serena.
Autrement dit : Rugissement de la tronçonneuse.

 

Je me répète, encore, mais pour rejoindre la villa, on suit quelques jolies pancartes (Terrain des gens du voyage, Déchetterie, Cimetière du Nord – et, par la rocade, Beauregard… vers Beauséjour, ne manque plus que Bellevue) et on passe, le plus souvent, devant la Maison funéraire. Dites et répétez à haute voix (et non à voix haute, s’il vous plaît…) : MAISON FUNÉRAIRE, MAISON FUNÉRAIRE, MAISON FUNÉRAIRE, n’y entendez-vous pas un son fun ?


Qu’on me pardonne, mais je ne peux le taire : Pierre Notte souffre d’une très inquiétante pathologie. Au Théâtre Athanor de Guérande où nous nous sommes retrouvés pour animer (surtout lui, ouf !) un atelier-lecture d’œuvres de théâtre (Marion Aubert, Leslie Kaplan, Émilie Valantin, Noëlle Renaude, Pauline Sales, Tilly, Stéphane Guérin, Emmanuel Darley, Jean-Michel Ribes, Philippe Minyana, Jacques Rebotier, Fernando Arrabal, Jean-Claude Grumberg) avec les jurés du Prix d’écriture théâtrale de la ville chère à Balzac (et tant d’autres), il avait, à Anne-Gaëlle Orgebin et à moi-même (depuis quelque six mois, j’écris avec un stylo-plume-Parker-cher-Pierre-Notte, retrouvant ainsi, cher Roger Lahu, l’usage de ma chère encre sépia), apporté des cadeaux. Voilà  donc : ce tendre Pierre, visiblement incurable, ne peut s’empêcher de répondre à quelque invitation ou rendez-vous que ce soit les bras chargés. Dans le paquet que j’ai ouvert étaient réunis, posés sur une jolie corbeille habillée d’un tissu écossais, un flacon et des sachets d’essence de vanille, de poudres de safran, de curry, de colombo, de cumin, de gingembre et de paprika.
De quoi, en retour obligé, inventer la recette du plat que Raoul Ruiz évoquait dans une interview tout récemment rediffusée par France Culture : lentilles et artichauts au safran et au miel (mais qui m’offrira demain lentilles, artichauts et miel ?).
Ou, afin de mitonner un curry (ou curri, ou cari, ou cary, mais pas carie) plutôt créole, sinon un colombo, déjà expérimentés :
Pour 8 personnes : 1,5 kilo environ de longe de porc (échine, carré de côtes ou filet) ou de joue de porc (soit 150 à 200 grammes par personne)*, 1 kilo d’oignons, 1 kilo de tomates (ou, en hiver, 2 boîtes de tomates concassées sans les égoutter).
Dans une sauteuse ou une cocotte, faire revenir à feu vif et à découvert le porc détaillé en gros dés avec 2 cuillers à soupe d’huile d’olive, jusqu’à ce qu’il prenne une belle couleur dorée. Baisser le feu et mettre les oignons coupés en lamelles en ajoutant une autre cuiller à soupe d’huile d’olive, et laisser revenir 8 à 11 minutes à couvert en remuant de temps en temps. Verser la chair des tomates pelées et épépinées, 2 pots de yaourt bulgare et 2 cuillerées à soupe de curry en poudre. Bien saler, sans poivrer, et bien mélanger le tout. Couvrir et laisser cuire à feu doux et en surveillant et en remuant de temps en temps pendant 1 h 1/2 à 2 heures ; 3 minutes avant de couper le feu, ajouter 3 pommes coupées en morceaux ou un demi ananas également coupé en morceaux et remuer.
Servir avec de la noix de coco râpée, 4 bananes coupées en rondelles et des raisins gonflés au rhum présentés dans 3 ramequins. Accompagner de riz et/ou des patates douces en robe des champs et/ou de grains de blés bouillis.
On réalisera un colombo en remplaçant le curry par 5 cuillers à soupe de cette épice en poudre, mélange, pour la plus belle réussite des ragoûts antillais, anis, coriandre, safran, etc.

* On peut avantageusement (d’un point de vue gastronomique) remplacer le porc par de l’épaule d’agneau désossée, ou moins avantageusement par du blanc de poulet ou de dinde (très belle réussite, toutefois, du sauté de dinde Leader Price à 5 ou 6 euros le kilo : les convives demandent quelle est cette viande si moelleuse – c’est essentiellement parce qu’elle a cuit près de 2 heures).

À Nantes vendredi soir (Bistrot de l’écrivain), samedi (Pannonica) et dimanche (Flesselles), MidiMinuitPoésie #11. Texte d’ouverture magistral par Magali Brazil : chapeau (bas) ! Invité pour une lecture croisée avec son camarade picard Ivar Ch’Vavar, et une lecture personnelle, Lucien Suel n’a pu venir, frappé par le décès brutal de son frère. Toutes et tous avons, bien sûr, beaucoup pensé à lui. Je me suis souvenu du délexquisavouricieux dîner poétique que nous avions fait ensemble au Triangle, à Rennes, le 25 septembre 2002, jour depuis lequel nous n’avons cessé d’échanger, par la lecture, l’écriture. Je me suis donc proposé pour lire les textes qu’il avait choisis, avec ma pauvre voix, mais ma meilleure, ou ma plus affectueuse, volonté.
Lors de ces grandes et longues journées de rencontres, on ne peut tout voir, tout entendre, ni partager avec tous. Inoubliables et ferments de belles sympathies débutantes, les échanges qu’il m’a été donné de vivre (oui, oui, vivre) avec Ivar Ch’Vavar, Dominique, Iskandar Habache et Matthieu Goszola, singulièrement… Au brunch (ouh ! quel vilain mot) du dimanche, Iskandar a traduit en arabe, et lu, un poème de Lucien. Waouh, sœurs et frères, une belle et bonne édition.
Alors, après, les au revoir, les va où, trains, voitures, les retours-maisons dans, comme chaque fois, ce sentiment de vide brutal, un rien mélancolique, façon p’tite dépression post festum.

Hier lundi, 17 octobre. À l’écart du bourg de La Grigonnais (berceau des magnifiques saltimbanques Marilyn Leray, Hervé Guilloteau et Sébastien Rouaud), lecture chez l’habitant. Pierrot et Marianne, leurs enfants Hélène et Sébastien, leurs proches, fidèles, complices, voisins… Conversations heureuses, tant d’amis en commun, d’amis, de goûts. Vins, fromages. Graines d’automne. Comment ne pas lire, ce jour-là, Ludovic Janvier :

DU NOUVEAU SOUS LES PONTS

Ah, ils les foutent à la Seine.
Anonyme

Il y a eu la journée du 17 octobre. Et celles d’avant. Et celles d’après. Et les cadavres dans la Seine, et les cadavres dans les bois. Aucune enquête sérieuse n’a été faite ni aucune sanction prise.
E.A.L.V.

Vous parlez d’Octobre 17
Moi je pense au 17 octobre


1

Paris 61 dix-sept octobre on est à l’heure grise
où le pays se met à table en disant c’est l’automne
lorsque silencieux venus des bidonvilles et cagnas
des Algériens français sur le soir envahissent
de leur foule entêtée les boulevards ils n’aiment pas
ce couvre-feu qui les traite en coupables
décidément ça fait trop d’Arabes qui bougent
le Pouvoir envoie ses flics sur tous les ponts
nous montrer qu’à Paris l’ordre règne
il pleut sur les marcheurs et sur les casques il va pleuvoir
bientôt sur les cris pleuvoir sur le sang

2

Sur Ahcène Boulanouar
battu puis jeté à l’eau
en chemise et sans connaissance
vers Notre-Dame il fait noir
le choc le réveille il nage
la France elle en est à la soupe

Et sur Bachir Aidouni
pris avec d’autres marcheurs
lancés dans l’eau froide aller simple
de leurs douars jusqu’à la Seine
Bachir seul retouche au quai
la France elle en est au fromage

Sur Khebach avec trois autres
qui tombent depuis le pont
d’Alfortville on l’aura cogné
moins fort puisqu’il en remonte
les frères où sont-ils passés
la France elle en est au dessert

Et sur les quatre ouvriers
menés d’Argenteuil au Pont
Neuf pour y être culbutés
dans l’eau noire en souvenir
de nous un seul va survivre
la France elle en est à roter

Et sur les trente à Nanterre
roués de coups précipités
depuis le pont dit du Château
quinze à peu près vont au fond
tir à vue sur ceux qui nagent
la France elle est bonne à dormir

3

Paris terre promise à tous les rêveurs des gourbis
leur Chanaan ce soir est dans l’eau sombre
ils ont gémi sous la pluie mains sur la nuque
c’est mains dans le dos qu’on en retrouve ils flottent
enchaînés par quelques jours à la poussée du fleuve
c’est la pêche miraculeuse ah pour mordre ça mord
on en repêche au pont d’Austerlitz
on en repêche aux quais d’Argenteuil
on en repêche au pont de Bezons la France dort
on repêche une femme au canal Saint-Denis
les rats crevés les poissons ventre en l’air les godasses
ne filent plus tout à fait seuls avec les vieux cartons
et les noyés habituels venus donner contre les piles
on peut dire qu’il y a du nouveau sous les ponts
la Seine s’est mise à charrier des Arabes
avec ces éclats de ciel noir dans l’eau frappée de pluie

Ludovic Janvier
La Mer à boire
Éditions Gallimard, 1987

Si bien reçu chez l’habitant, si chaleureusement qu’une bonne nuit de sommeil, dans un bon lit, y suit la lecture. Dès le petit déjeuner, flambée dans la cheminée. Il y a des gens qui savent. Alors, partir, repartir, dire au revoir, allô amis bobo…