vendredi 4 novembre 2011

suite huit

Une nouvelle heure
Dès 7 heures (d’hiver giscardien, depuis le dernier ouiquinde), presque inquiétantes, des ombres horizontales s’agitent sur la porte de la chambre du résident: les branches du cèdre bleu, petit ballet de balais valsant au rythme des sautes de vent, saluent les premières lueurs du jour, gris sur gris dans la pénombre. Non-photographiable. Non-filmable. Cadeau de l’aube réservé à qui a gagné le privilège de s’étendre dans ce lit.

Un stock
Sur la table de chevet, de séjour, sur le bureau, dans la voiture, dans le cartable, dans le cabas Hyper U, dans la sacoche de la bicyclette, sous le bras du résident, des livres (les yeux plus gros que la tête?); dans le désordre:
Œuvres complètes de Tomas Tranströmer
Le Secret du domaine de Pascal Quignard
Nous sommes tous des nomades de Gérard Navas
Le Gardien du feu d’Anatole Le Braz
Le Général Boulanger de Maurice Duplay
Déraciner les impatiences de Gwénola Morizur
Le Contre-dit d’Henri Droguet
À l’ombre des jeunes filles en fleurs de Marcel Proust
Rouge avril et Portraits sauvages d’Hélène Lanscotte
Le Jeu de la mort et Jean Diable de Paul Féval
Guide de Rennes
Le Pli de l’air d’Erwann Rougé
Gertrude est Gertrude est Gertrude est Gertrude de Jonah Winter
Précieux et libertins, choix par Michel Nuridsany
Pour affoler le monstre de Christian Doumet
Le Cahier grec d’Arnaldo Calveyra
Les Jours où Else de Lou Raoul
L’Homme blanc de Philippe Dossal
Une escorte très nue de Michel Dugué
Expédition autour de ma cave de Jean-Claude Pirotte
Bouquet d’injures et d’horions, recueillis par Jean-Pierre Arthur Bernard et Olivier Gadet
Électre de Sophocle, traduction de Jacques Lacarrière
Les Choses de Georges Perec
Poèmes du voyage de Marc Le Gros
Sous le néflier de Jacques Serena
Près du pilier et La Mort de Gregory Corso de Jacques Josse
Opéras-minute et Toujours perdue la neuve entrée de Frédéric Forte
Comédie du suicide de Jean-Claude Leroy
Les Rouilles encagées de Benjamin Péret
Élodie Cordou, la disparition de Pierre Autin-Grenier
Manque de Sarah Kane
… et tous les livres disponibles au Centre de ressources, pardon, à la bibliothèque de la Maison.
Certains déjà lus (peut-être mal, trop vite, trop distraitement ou voilà si longtemps), mais à relire… J’en ai sans doute oubliés (inexhaustivité de toute liste…), quelques autres déjà cités sur ce blog, plusieurs manuscrits d’amis (que je ne révèle pas, par réserve ou prudence), bien sûr sans compter les dictionnaires et autres usuels.

Une Toussaint en vacances
Fille, nièce, fils et neveu, quatre enfants sont allés jouer, tout contre le Fonds Régional d’Art Contemporain de Rennes, en fin de construction, dans l’Alignement du XXIe siècle, ce prodigieux ensemble de soixante-douze colonnes de granite gris clair, hautes de 4,50 mètres et placées à intervalles réguliers, œuvre post-mortem d’Aurélie Nemours, disparue à l’âge de 94 ans, début 2005, année même de cette édification impeccablement réalisée. Las, la plaque explicative de ce Nemoursland valant tous les Disney, est truffée de fautes et d’incohérences typographiques (la Ville de Rennes, qui a investi là 1,6 million d’euros – soit 89 fois moins qu’un avion Rafale ou 3 125 fois moins qu’une centrale nucléaire de type EPR – Flamanville –, ne pouvait-elle se payer les services d’un correcteur? – eh, il existe d’excellents écrivains exerçant ce beau métier, ainsi Christian Oster – dernier livre paru: Rouler, aux Éditions de l’Olivier, en lice pour le 1er Prix des lecteurs Rue des livres, Festival de littérature généraliste de Rennes, résultat le 31 janvier 2012, votez!) Le résident avait découvert la peinture d’Aurélie Nemours à la galerie Convergence de Nantes, chez les délicieux Jeannette et Jean Branchet qui exposaient également feu Alain Le Bras, grand et inoubliable ami originaire de Plufur et dont quelques très proches vivent aujourd’hui à Rennes: heureuses retrouvailles ces derniers jours, beaux souvenirs. Alain Le Bras qui me fit connaître et apprécier Eugène Savitzkaya voici quelque chose comme trente ans, et nos échanges, même si clairsemés, ne se sont jamais taris depuis.

Nemoursland. Photo © Céline Bretonnière.

Après Rennes, ces vacances nous ont conduits à Saint-Juvat, chez Pierryle Dorvault et André Schetritt (auteur d’Eux autres, moi-je et le monde aux Éditions Donner à voir, livre épuisé), éditeurs, à l’enseigne de Rouge Papille, de savoureux chocolats littéraires (pensez-y, les fêtes arrivent…) Complicités, partages, amitié. Et visite obligatoire chez l’exceptionnel céramiste voisin Armel Hédé. Liens:



Céramique d’Armel Hédé. Photo © Catherine Dressaire.

Un autre lien, et d’autres
Déjà signalés ici les liens Internet des Notules dominicales de culture domestique de Philippe Didion
et du blog de Paul Emond
Ajoutons-en, tels qu’ils nous viennent en tête, cinq autres (à suivre, qui sait?)
1. Très connu des bibliothécaires, très méconnu du reste du monde, Le Guichet du savoir constitue un outil unique et salutaire pour toute recherche, que vous vouliez savoir avec quelle peinture changer la couleur du carrelage mural de votre cuisine ou à quelle date exacte a été débaptisée la rue Thiers à Nantes (eh non, pas à Rennes...) Ce service en ligne a été mis en place par la bibliothèque municipale de Lyon et, en s’inscrivant gratuitement avec un pseudonyme (ce qui prend moins de cinq minutes), chacun peut poser toute question qui le turlupine; ce guichet vous répondra dans les 72 heures. Miraculeux, voui! Vous pouvez tester avec: «Quel poète, auteur de Dans l’espace étroit du monde, résidera à la Villa Beauséjour de Rennes dans un an?» Blague de blog à part, on aura la correction d’éviter toute question dont la réponse se trouverait dans le premier dictionnaire venu.

2. Moraliste autant que fantaisiste, jamais en panne d’inventions délirantes, ou de sagaces observations, Éric Chevillard concocte avec opiniâtreté depuis 2007 l’un des blogs les plus brillants et réjouissants qui soient. L’Autofictif est de ces (très rares) blogs dont on peut, après coup, faire des livres, l’écran redevenant papier!

3. Lou Raoul, poète et plasticienne et bretonne familière de cette langue (la bretonne) a joliment intitulé son blog Friches et appentis. Textes serrés, concis, simples notations et paroles d’humains qui en disent long, photos: ouvrez l’album, le discret carnet.

4. Ils sont impayables, Martine Rousseau et Olivier Houdart, correcteurs au quotidien Le Monde. Leur blog Langue sauce piquante tout également. Une visite quotidienne s’impose, instructive et hilarante à la fois. Comme quoi les tatillons en orthographe et typographique ne sont pas (tous) des chevaliers à la triste figure. Ceux-là mettent le doigt où ça fait mal, où nous disons mal, où nous écrivons mal, par exemple en fesse-bouquien. Chatouilles plutôt que coups: ça pique à peine, mais on n’oublie pas leurs corrections.

5. Écrivain voyageur, curieux de beaucoup sinon de tout-toutes-et-tous, Jean-Claude Leroy nous fait partager admirations, indignations et autres sentiments ou découvertes avec clarté, simplicité, discrétion. De Jordi Pere Cerdà à la révolution égyptienne, d’Albert Cossery à la dégringolade d’une certaine radio culturelle, de Mohamed al-Maghout à La Rue mauve d’Annkrist… (à suivre)

Une fable
Un auteur se plaignit, des années durant, de n’avoir pas assez de temps pour écrire. Quand il fut accueilli en Beauséjour pour une «halte» (reprenant ici le joli mot de Nicasio Perera San Martín, alors président de la Maison des Ecrivains Etrangers et des Traducteurs de Saint-Nazaire) en résidence d’écriture, que croyez-vous qu’il arriva? Il posa ses notes et carnets sur le bureau de l’appartement pour – procrastination coupable de son contrat – occuper tout son temps à bricoler, remettant en état une bicyclette, dérouillant au Frameto Rubson® l’égouttoir à vaisselle, changeant les ampoules du plafonnier de la cuisine, du séjour de l’appartement où il ne séjournait guère, du Centre de ressources, pardon, de la bibliothèque, huilant les serrures du portillon du jardin et de la boîte aux lettres, réglant à la hausse la durée d’éclairage de l’applique électrique extérieure, etc.

Un premier pêcheur
Un mois passé sans avoir vu le moindre pêcher tremper son fil dans l’eau du canal, au niveau de la Villa Beauséjour. Interrogations conséquentes du résident… Mais il est venu jeudi, en compagnie de son chien. Quelques minutes après s’être installé, il avait déjà sorti des eaux troubles une douzaine de gardons. «C’est poissonneux ici, surtout par ce temps, à cette époque...» Le résident, projetant avant son arrivée qu’il aurait tellement de temps lors de ces deux mois de séjour, avait pensé apporter canne, bouchons, hameçons et autres accessoires nécessaires à cette forme de récréation méditative, inspirante, et prometteuse d’exquises fritures. Las, les heures filent plus vite encore que le courant quand s’ouvre l’écluse, ou que ce jogger sifflant son chien fatigué: «Allez, cours, Bouboule, t’es casse-couilles…»



Photo non contractuelle, D.R.

Une question, une réponse
Que lira Frédéric Forte sur la péniche-spectacle le 17 novembre (19 h 30)? Pour l’occasion, ayant décidé d’un commun accord avec le résident d’écrire plusieurs textes spécialement destinés à cette soirée, il donnera notamment la primeur de 99 notes préparatoires à la liste, jouera de ses époustouflants Bristols (dont le principe aléatoire offre chaque fois une réussite différente), proposera un choix de ses Comment(s) tandis qu’il saura encore sortir de son cha(ouli)po «plein d’autres choses possibles en réserve… si le besoin s’en fait sentir.» En bon OuLiPien, Frédéric aime lire alternativement avec d’autres, phrase après phrase, par exemple; de sorte que ce jeu tentant sera tenté. Et l’accordina magique – quel instrument à découvrir pour ceux qui pas encore – du magicien Francis Jauvain rythmera, séquencera ces morceaux.

Francis Jauvain à l’accordina. Photo D.R.

Un livre reçu, et même deux
De Lucien Suel, avec dédicaces s’il vous plaît: N’est-ce pas et Le Bréviaire, une lecture de La Retraite de l’aumônier, 1886, de Jules-Alexis Muenier, musée municipal, Cambrai. Merci l’ami (amitié ouverte grâce au Triangle, à Rennes, merci Yann!)