vendredi 11 novembre 2011

Contrat, gratitudes, voies…

Un avenant au contrat
«Le poète résident s’engagera à laisser une trace pérenne de sa présence, et de sa capacité à ne pas être qu’un intellectuel manchot, en plantant soigneusement quelques bulbes ou graines, de préférence vivaces, pour rappeler très concrètement et végétalement son passage, dès les floraisons suivantes, printanières, estivales, automnales, voire hivernales.» Deux suggestions toutes simples: Narcissum jonquilla et Allium moly.

Encore, «le poète résident se gardera de se cantonner dans quelque exclusif fonctionnement cérébral lorsqu’il s’avèrera nécessaire de réparer l’aspirateur ou de revisser bien verticalement la lampe à pied du centre de ressources» – pardon de la bibliothèque.

Une double gratitude
Rendons ici à Cléopâtre et à César ce qu’il leur revient. Si le résident a, le 17 novembre, souhaité se faire avantageusement accompagner de l’OuLiPien Frédéric Forte et de l’accordiniste & saxophoniste baryton Francis Jauvain, c’est grâce aux rencontres précédemment organisées (et non initiées, épouvantable anglicisme à bouter hors de France) par Françoise Lalot (Semaine de la poésie, à Clermont-Ferrand) et Jacky Essirard (Le Chant des mots, à Angers). Mercis.

Une rue, des rues, à Rennes
L’e d’Armand R/e/é/billon (1879-1974) doit-il être accentué, ou pas? Les plaques de cette rue répondent pas la négative («REBILLON»), mais il est vrai que la typographie n’oblige pas à accentuer les capitales; pourtant, à Rennes, sur les plaques des voies publiques, elles y figurent, et même hérétiquement, parfois, quand on lit, ô scandale, SÉGALEN (Victor) et… SEGALEN, ô ouf!… dans la même rue. Selon les autorités de la Bibliothèque nationale de France, confortées par le catalogue de la bibliothèque de Rennes Métropole, il conviendrait bien d’écrire Rébillon. Le plan IGN de la ville de Rennes n’est d’aucun secours: tous les noms des voies y sont composés en capitales non accentuées (rue de BELLE EPINE!). L’auteur des inoubliables Situation économique du clergé à la veille de la Révolution dans les districts de Rennes, de Fougères et de Vitré (1913) et de Les États de Bretagne de 1661 à 1789 (1931) n’est plus là pour nous éclairer; regardons alors la couverture de son Atlas historique, tome III - Les Temps modernes (1937): l’accent aigu s’y trouve bien imprimé et, l’auteur ayant vraisemblablement eu en main les épreuves de son livre, on en conclura presque à coup sûr que voui, cet accent lui est dû et que les plaques de sa rue sont fautives. Mais zut, trouvaille suivante, nul accent sur la couverture de ses Recherches sur les anciennes corporations ouvrières… (1902). De quoi, vraiment, s’egarer!




Un étrange syncrétisme (nous n’avons point dit saint crétinisme), si peu cohérent politiquement, fait cohabiter à Rennes(-la-Rouge?), Adolphe Thiers (rue courageusement débaptisée à Nantes par le maire socialiste Alain Chénard en 1978, soit un an après son élection), Louise Michel, Charles Beslay, Jules Vallès et Louis Rossel. Bourreau et victimes réunis parmi les gloires que célèbre le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine et de la région Bretagne… Et puisque nous évoquons la Commune de Paris telle qu’historismée par la commune de Rennes, amusons-nous ou choquons-nous des revendications privatives accolées au communard Rossel, personnage on ne peut plus admirable des points de vue de l’humanisme, du désintéressement et de la générosité :


Autre bizarrerie, et c’est là un doux euphémisme (pensons au capitaine d’ascendance juive Alfred Dreyfus, lequel, fort légitimement ici, a sa rue), l’antisémite, eugéniste, pétainiste et naziphile Alexis Carrel (cher au peu cher Bruno Mégret) est carrément honoré par un boulevard alors que nous pensions naïvement que la municipalité rennaise défendait des convictions & valeurs de gauche, tandis que Lyon, Paris et tant d’autres villes l’ont fait disparaître de leurs voiries… Voulez-vous en remplacement, madame, la Mairie, des noms de poètes? Nous en avons 3544 au moins à vous proposer…
Autre étonnement, amusé celui-là, deux Jarry se disputent deux allées : l’abbé Alphonse, militant de la chouannerie, et l’écrivain Alfred, inventeur de la  'Pataphysique, discipline assez peu chouanne.

Photo © Bruno Polidoro

On pourrait longtemps continuer, au fil d’une déambulation piétonne critique, et peut-être y reviendrons-nous, qui sait? Juste une question, pour finir hic et nunc: Le square Albert-Schweitzer est-il fermé à minuit, docteur?